Un
inquiétant trou de mémoire (30 janvier 2005)
Un
génocide oublié: celui du peuple tsigane
Une
déclaration de RENCONTRES TSIGANES en Provence-Alpes-Côte-d’Azur.
Depuis
quelques semaines, les commémorations du soixantième
anniversaire de la libération des camps d’Auschwitz
sont l’occasion d’un indispensable travail de
mémoire sur un génocide qui aura marqué
à tout jamais le xx° siècle. Nous pouvons
constater en effet les conséquences dévastatrices,
en particulier sur la jeunesse, de l’oubli mais aussi
des négationnistes en tout genre. Ce travail de mémoire
salutaire ne saurait toutefois pas occulter un autre aspect
de ces moments dramatiques de l’histoire européenne
qui concerne le génocide des Tsiganes ou «
Samudaripen » en langue romani. On est en droit de
s’étonner de la place trop discrète
faite aujourd’hui, devant l’extermination de
tout un peuple auquel les nazis ont appliqué la «
solution finale ».
Les
raisons de cette discrétion sont multiples : l’histoire
même de ce peuple qui dans sa longue migration à
travers l’Europe et le reste du monde a rencontré
partout la peur, le mépris, l’exclusion et
souvent la haine, dans les pays traversés. On peut
mettre en avant la discrétion et la volonté
de transparence dont s’entourent pour se protéger
les Tsiganes eux-mêmes ; on peut aussi rappeler que,
si le régime nazi s’est appliqué, de
manière systématique, à l’élimination
des Roms Tsiganes, les autres pays d’Europe n’avaient
pas attendu cette phase finale pour participer à
la chasse aux Roms Tsiganes. On se référera
pour plus de détails au remarquable ouvrage Claire
AUZIAS : « Samudaripen : le génocide des Tsiganes
l’esprit frappeur » Dans le seul camp d’Auschwitz
plus 23 000 Roms marqués du signe Z sont passés
dans les chambres à gaz. Durant toute cette sombre
période, on estime à 500 000 le nombre Roms
exterminés dans l’ensemble des pays l’Europe.
Les
nazis n’ont pas eu l’exclusivité des
massacres des Tsiganes
En
France, en particulier le régime de Vichy, a, pour
satisfaire l’envahisseur mais aussi une partie de
l’opinion publique, regroupé dans des camps
d’internement de sinistre mémoire, la plupart
des familles tsiganes. Dans ces camps, beaucoup sont morts
de froid, de faim, d’absence de soins. Dans notre
Région en particulier, il a fallu attendre 2001 pour
que l’on découvre, à travers la remarquable
exposition des archives départementales des Bouches-du-Rhône,
que des milliers de Tsiganes avaient été enfermés
de 1942 à 1944 au camp de Saliers à quelques
kilomètres d’Arles. Combien sont morts ? Combien
ont transité par le camp des Milles à Aix-en-Provence
pour les destinations que l’on sait ? Autant de «
trous de mémoire » et de silences qui nous
interpellent aujourd’hui.
Des
comportements individuels et collectifs intolérables.
Voilà
en effet quelques années, qu’avec d’autres,
nous dénonçons les multiples formes d’exclusion
et de racisme dont sont l’objet ces familles, comme
si aucune leçon n’avait été tirée
d’un passé encore présent dans la mémoire
de ces hommes et de ces femmes que nous côtoyons ;
comme si notre mémoire collective devait être
sélective ; comme si dans l’Europe qui se construit
sous nos yeux il n’y avait pas de place pour «
ces gens-là ».
Chaque
jour nous sommes témoins inquiets de cet ostracisme
collectif qui, sous prétexte d’assimilation,
nie tout mode de vie distinct et trouve dans le peuple tsigane
un bouc émissaire facile à dénoncer.
Le refus par les maires d’appliquer les lois de la
République en réalisant des aires d’accueil
et l’absence, de réaction des autorités,
est significative du rejet généralisé
de ces familles. On a pu ainsi assister ces derniers mois
à des actes odieux envers ceux que l’on nomme
hypocritement « gens du voyage » : Propos et
tracts explicitement racistes appelant au meurtre, symboles
nazis affichés à proximité des lieux
de stationnement ; coups de feux contre les caravanes, utilisation
des polices municipales pour faire déguerpir les
familles, destructions d’abris de fortune et de caravanes
en dehors de toutes décisions de justice, contrôles
policiers multiples accompagnés de brimades et d’expulsions
violentes, articles de presse trop souvent caricaturaux
assimilant l’ensemble des familles à des groupes
de malfaiteurs dangereux.
Depuis
quelque temps, dans la Région, des familles Roms
originaires des pays de l’est de l’Europe tentent
de trouver ici un refuge contre les exactions dont elles
sont l’objet dans leur pays d’origine. Les conditions
souvent misérables dans lesquelles elles tentent
de survivre ne font qu’accroître la défiance
et le mépris dont elles sont l’objet.
Il
faut agir sans délais
Ces
constats dramatiques qui se multiplient ne semblent pas
émouvoir les responsables politiques et la majorité
de nos concitoyens. Nous avons pourtant acquis la conviction,
à la lumière de l’histoire récente,
qu’il convient sans délai de mettre un terme
à de tels comportements qui font planer un doute
sur les vibrantes déclarations des uns et des autres
entendus ces derniers jours : « Plus jamais ça
! » certes mais sachons dénoncer et tuer dans
l’œuf les comportements qui y conduisent.
Plus
concrètent nous proposons que les organisations représentatives
des Tsiganes dans notre région soient associées
au travail de mémoire qui s’impose et en particulier
au projet de mémorial qui s’élabore
au camp des Milles à Aix-en-Provence. Nous proposons
qu’un effort d’information soit fait sur la
réalité du génocide tsigane en particulier
dans le milieu scolaire. Nous proposons que les maires qui
s’opposent à la loi et refusent d’accueillir
des Tsiganes dans le cadre des règles de droit, soient
interpellés publiquement et contraints à se
conformer à la légalité républicaine.
Nous invitons tous les citoyens à nouer des contacts
avec les familles Tsiganes et à faire connaître
aux pouvoirs publics toutes discriminations dont elles seraient
l’objet.
Fait
à Marseille le 30 janvier 2005 |