A
propos de Californie (1ère partie, novembre 2003)
Les
Chroniques de voyage d’Alain Fourest
"Notre région n’a rien à voir
avec la Californie…" C'est une réplique
récente de Michel Vauzelle, actuel Président
du Conseil Régional, aux projets de J.M. Le Pen de
faire de la "région PACA la Californie française"
Et voilà que le scandale du Crédit Lyonnais
revient dans l'actualité où l'on apprend qu'un
Juge californien nous réclame des centaines de millions
de dollars. La Californie, c'est aussi les incendies spectaculaires
de la fin octobre, l'élection surprise d'un nouveau
gouverneur, monsieur muscle alias Terminator alias Schwarzenneger,
et plus récemment, à Los Angeles, le célébrissime
Michaël Jackson menotté devant ses juges. Mais
qu'est-ce donc que ce pays, à l'autre bout du monde,
qui suscite tant d'intérêt et qui représenterait
un modèle pour les uns et un repoussoir pour d'autres
?
Ayant, pour des raisons familiales, l'occasion de fréquents
séjours dans cette région du monde, il m'a
semblé utile de proposer une image différente
des Californiens, moins caricaturale et, je crois, plus
proche de la vie quotidienne. Dans les quelques témoignages
décrits dans les pages qui suivent, il ne s'agit
pas d'une enquête exhaustive mais plutôt d'anecdotes
prises sur le vif ou à la lecture de la presse quotidienne
(et oui, il y a de très bons journaux en Californie
et pas seulement la télé !). J'aimerais faire
comprendre à nos concitoyens que les Californiens
sont, des gens comme nous et que leur façon de vivre,
leurs difficultés, leurs souhaits, leurs rêves
sont finalement très proches des nôtres. C'est
peut-être ça aussi la mondialisation ! Alors,
faut-il les envier ou au contraire les plaindre ? Sans doute
ni l'un ni l'autre et le plus sûr c'est de tenter
de jeter quelques passerelles au-dessus des océans
et de dialoguer afin de tirer parti de leurs succès
et de leurs erreurs. Pour la bonne compréhension,
on précisera que ces chroniques ne prétendent
pas faire l'analyse de la vie en Amérique (pardon
! aux États-Unis) et encore moins d'aborder tous
les aspects de la société américaine
et en particulier la politique nationale ou internationale
de M. Bush. D'autres s'en sont chargés et je recommanderai
tout particulièrement, pour ceux qui veulent en savoir
plus, les récents ouvrages de Pascal Boniface, Michaël
Moore etc.)
Les
citoyens et la politique.
L'élection d'Arnold Schwarzenegger est apparue comme
un coup de tonnerre dans les milieux politiques locaux et,
dans le reste du monde. Les commentaires sont allés
bon train mettant en avant le personnage artificiel et médiatique,
créature hollywoodienne venue ridiculiser la politique.
Les premiers pas de cette vedette dans le monde feutré
de la politique ont en partie confirmé ce diagnostic.
Terminator est aujourd'hui gouverneur du plus grand État
des États-Unis qui rassemble 29 millions d'habitants,
dont la surface est deux fois celle la France, et il doit
gérer le cinquième budget du monde juste après
celui de la France. Ce n'est pas une bagatelle ! et pourtant
les Californiens l'ont élu, même si bien peu
d'entre eux se sont rendus aux urnes (plus de 50 % d'abstentionnistes).
Les conditions dans lesquelles se sont déroulées
la campagne et les élections sont contestables et
contestées. Ni démocrate ni républicain,
il a su, par une campagne « à l'américaine
» et avec quelques millions de dollars et des «
wagons » de démagogie, convaincre une majorité
d'électeurs qu'il fallait « virer pour incompétence
» le gouverneur, réélu pourtant un an
auparavant et qu'il valait mieux que les politiciens en
place considérés comme des incapables et de
profiteurs.
Remis de leur surprise et quelques jours après le
choc, la plus grande majorité des Californiens s'est
à nouveau détournée de la politique
pour se préoccuper de leur vie quotidienne et c'est
tout juste s'ils ont prêté une oreille au discours
d'intronisation de leur nouveau « gouverneur vedette
», devant le Capitole de Sacramento, le 18 novembre
dernier : « Aux milliers de ceux qui sont venus ici
aujourd’hui, je fais le serment d’être
à votre service. À tous les autres à
travers la Californie, démocrates, républicains,
indépendants, je ne fais pas de différence,
et je fais le serment d’être à leur service.
À ceux qui sont sans pouvoir, à ceux qui sont
rejetés, à ceux qui ne supportent plus la
politique actuelle ou qui sont désappointés,
je fais le serment d’être à leur service.
Je dis à tous les Californiens aujourd’hui
que je ne renierai pas mon serment et que je ne les oublierai
pas…. Mes amis, mes concitoyens, aujourd’hui
est un jour nouveau pour la Californie. Je n’ai pas
brigué ce poste pour continuer à faire de
la politique comme avant. Je vais m’efforcer de restaurer
en vous la confiance dans le gouvernement. Dans les dernières
années, les Californiens ont perdu confiance. Ils
ont eu le sentiment que l’action de leur gouvernement
ne correspondait plus à la volonté du peuple.
Cette élection n’avait pas pour objet de remplacer
un homme par un autre, un parti par un autre, mais de changer
radicalement le climat politique de notre État….
».
Quel beau discours ! On aimerait tant le croire et le prendre
au mot. Mais la majorité des Californiens ne sont
pas dupes. Certains attendent en effet qu'il tienne ses
promesses et annule la sage décision de son prédécesseur
qui devait tripler la vignette sur les voitures neuves et
les gros 4x4 pour renflouer les caisses de l'État
mises à mal par le scandale ENRON. Il a aussi promis
de retirer le permis de conduire aux étrangers en
situation irrégulière, leur interdisant ainsi
tout travail alors qu'ils représentent une main-d'oeuvre
indispensable à l'économie locale et en particulier
à la production de vin et de fruits. Malgré
ses promesses, il a aussi reconnu qu'il avait dépensé
beaucoup d'argent durant la campagne et qu'il fallait vite
le récupérer. C'est pourquoi à peine
élu, il organise un banquet de souscription à
220 $ pour un couple avec, en prime, une photo en sa compagnie.
Il offre également, pour le même prix, une
place au stade de foot devant l'équipe dont il est
propriétaire. Drôles de moeurs ! Il ne semble
pas que la démocratie va réellement y gagner,
quelles que soient les erreurs commises par ses prédécesseurs.
Autre
campagne, autres résultats.
peine remis des frasques d'Arnold,
les électeurs de l'agglomération de San Francisco
ont été appelés à voter à
nouveau le 5 novembre. Il s'agissait d'abord de désigner
le maire de la ville. L'ancien maire ne pouvait pas se représenter,
car il était à la fin de son deuxième
mandat de 4 ans et, d'après la loi, n'était
donc pas renouvelable. Autre singularité, il s'agissait
d'élire le maire responsable devant une assemblée
déjà en place et chargée du contrôle
de l'exécutif. Six candidats se présentaient
aux suffrages des électeurs et ont mené une
campagne de proximité. Quatre se revendiquaient du
Parti démocrate, un des Verts et une Indépendante.
Le plus âgé d'entre eux avait 45 ans et la
presse nous a tout dit de leur histoire personnelle, de
leur parcours politique, de leur patrimoine, de leurs moeurs,
etc. Chacun, avec des nuances, a mis en avant un programme
prioritaire concernant le logement, l'urbanisme et les transports
en commun. Il faut savoir qu'à San Francisco, malgré
ou peut-être à cause de la déprime économique
de la Silicon Valley, la spéculation immobilière
atteint des sommets. Les prix des logements neufs ne sont
accessibles qu'à un habitant sur dix. La rénovation
urbaine bat son plein, les grattes ciel se multiplient au
détriment des logements modestes. Alors la question
« des homeless » devient dramatique. Le centre
de l'une des villes les plus riches et la plus belle du
monde est en permanence occupé par des hommes et
des femmes couchés à même le sol ou
sur des cartons et qui tentent de récupérer
quelques bribes de cette richesse. La campagne s'est aussi
axée sur le projet de réglementation de la
mendicité dite agressive ou encore sur le déficit
croissant des transports en commun et des nouvelles lignes
de métro boudées par les usagers. Tous ces
thèmes nous semblent finalement fort proches de ceux
qui préoccupent nos concitoyens à Marseille
ou dans
les autres grandes villes
de la région. On rajoutera peut-être une nuance
: le soutien de 4 candidats sur 6 aux organisations et mouvements
gays, l'un des candidats se déclarant lui-même
gay. Mais il est vrai que nous sommes en Californie où
la liberté des moeurs est une conquête déjà
ancienne.
Le soir du 5 novembre, aucun des candidats au poste de maire
n'ayant atteint la majorité absolue, il y aura un
deuxième tour le 9 décembre entre les deux
seuls candidats arrivés en tête : Gavin Newsom
le brillant démocrate et Matt Gonzalez le Vert. Une
ombre au tableau d'une campagne électorale pas comme
les autres et elle est de taille : Il n'y a eu que 39 %
de votants. Mais où va donc la démocratie
en Californie ?
Les élections du 5 novembre ne se limitaient pas
au choix du maire, mais comprenaient deux particularités
qui nous surprennent : il fallait également choisir
entre trois candidats pour le poste de Procureur général
du Comté. Le choix était entre renouveler
le procureur sortant ou élire une femme avocate de
39 ans, afro américaine ou un troisième homme
plutôt conservateur. Chacun des deux premiers candidats
a fait une campagne électorale assez voisine. Ils
s'engageaient à mettre en oeuvre des politiques préventives
en limitant les poursuites contre les usagers de drogue,
en autorisant la consommation de marijuana pour réduire
la souffrance les malades, en poursuivant sévèrement
les violences domestiques et en concentrant leurs activités
contre la grande criminalité. Le procureur sortant
a été renouvelé, mais la surprise est
venue de la candidate qui a talonné le gagnant en
recueillant plus du tiers des suffrages. On croit rêver
en imaginant pareille situation ici à Marseille.
Ces Californiens sont finalement bien surprenants.
Une autre singularité de ce scrutin mérite
attention : outre les candidatures pour le poste de maire
et de procureur, l'électeur avait à se prononcer
par oui ou par non sur quatorze questions les plus diverses.
Ces thèmes, proposés par des groupes de citoyens
ayant recueilli le nombre de signatures requises, étaient
assortis du montant des sommes dépensées par
les uns et les autres pour faire campagne pour ou contre
le projet. Retenons par exemple, quelques questions controversées
qui ont été finalement validées par
les électeurs : allouer un complément de retraite
à des anciens fonctionnaires municipaux ; augmenter
le salaire minimum des employés, y compris dans les
entreprises privées, de 6,75 $ à 8,50 $ de
l'heure ; engager la somme de 295 millions de $ pour réhabiliter
31 écoles publiques et, cerise sur le gâteau,
transformer la composition de la Commission d'éthique
de la police en réduisant le nombre de représentants
des policiers au profit de représentants d'associations
de défense des libertés et d'élus.
le nouveau maire lorsqu'il sera élu devra se conformer
à ces décisions. On croit rêver ! Vive
la Californie !
Ce tableau contrasté du fonctionnement politique
en Californie ne serait pas complet si l'on n'évoquait
pas ce qu'on a l'habitude d'appeler la démocratie
de proximité. Et là, l'observateur étranger
va de surprise en surprise. Dans les différents niveaux
de la vie locale, du Comté à la Commune, la
consultation de la population est quasi permanente. Sur
tous les sujets et en particulier sur ceux qui entraînent
des dépenses et donc des impôts, les habitants
sont directement consultés et des votes organisés
sur de multiples sujets : les débats sont largement
reproduits dans la presse locale, les opposants sont entendus
et les décisions ne sont prises qu'à la suite
d'un large consensus. Un exemple éclairera cette
attitude. La commune de Sébastopol (ville de 18 000
habitants au Nord de San Francisco) envisage de construire,
sur un terrain qu'elle a acquis à cette fin, un programme
de logements pour personnes âgées.
L'avant-projet est soumis à la population et un débat
s'instaure sur le programme, des contre- propositions sont
faites par le voisinage et diverses organisations et les
responsables du projet estiment qu'il faudra au moins trois
ans avant qu'un accord intervienne et qu'un chantier puisse
être lancé qui sera sûrement fort différent
du projet initial. Une telle procédure s'applique
à de multiples dossiers concernant en particulier
les écoles, la circulation, le stationnement ou encore
et surtout la protection de l'environnement. Alors que les
électeurs se détournent de plus en plus de
la politique, ce sont des centaines de milliers de citoyens
actifs qui participent directement à la vie locale
à travers multiples organisations. Ils ont là
la garantie d'être entendus et de participer à
la décision sur les sujets qui les concernent directement.
Vive les citoyens californiens !
Première conclusion
Ce survol rapide du fonctionnement de la vie politique californienne
a de quoi surprendre un observateur extérieur. Chacun
pourra toutefois y retrouver quelques constantes, sinon
quelques similitudes avec notre vie politique locale et
régionale : la crise de la représentativité,
le désaveu des responsables et des partis politiques,
la désaffection du vote, mais aussi la vivacité
de la vie locale et de l'engagement militant qui la supporte,
les dangers de la démagogie et le poids de l'argent
dans les campagnes électorales, les risques croissants
d'une xénophobie et d'un repli sur le cocooning.
Tous ces facteurs inquiétants, nous les connaissons
aussi. La démocratie est partout en danger et les
efforts faits en Californie pour y remédier ne sont
pas tous négligeables. Il y a aussi là-bas
des hommes et des femmes qui partagent avec nous les valeurs
de cette démocratie, qui croient en la liberté
mais aussi en la solidarité et la fraternité.
Si, comme certains nous le proposent, notre région
doit devenir la Californie française, c'est avec
eux qu'il nous faudra nouer des liens, écouter leurs
expériences pour bâtir ensemble un «
nouveau monde ». Mais alors, ne comptez pas sur nous
monsieur Le Pen. Nous ne voulons pas d'un triste pitre à
la tête de notre région, fut-il riche et adulé
des médias. C'est sûrement cela qui nous différencie
du modèle californien que vous nous promettez.
A
propos de Californie (2e partie, janvier 2004)
J’avais
ouvert ma dernière chronique californienne en me
référant au programme électoral de
Jean-Marie LE PEN qui nous proposait de prendre le modèle
californien comme référence pour bâtir
l’avenir de notre région. À y regarder
de plus près, ce modèle n’est peut-être
pas aussi enviable qu’il le prétend, comme
j’ai pu le constater lors d’un récent
séjour dans la région de San Francisco. Les
quelques exemples qui suivent montrent en effet que l’eldorado
californien tant vanté, et qui nous fait parfois
rêver, est loin d’être à la hauteur
de sa réputation.
Un
saisissant contraste.
Pour
un touriste ou un homme d’affaire pressé, les
apparences sont sauves. Pour peu que le temps soit clair
sur la baie, l’approche par avion nous fait découvrir,
juste après le célèbre Golden Gate
Bridge, la splendeur du paysage, la somptuosité des
gratte-ciel, l’étendue des parcs bordant le
Pacifique. Cette vision se confirme en approchant du centre
ville par de larges avenues bordées de maisons victoriennes
qui s’étagent sur les collines. Parcourant
le centre civique et financier, les premiers contrastes
apparaissent. Au pied des luxueux gratte-ciel, des banques
et des boutiques à la mode, au milieu du flux incessant
des voitures, des centaines de miséreux poussent
des caddies chargés de leur maigre butin. En général
sans agressivité, ils récoltent les rebus
de cette société d’opulence qui semble
indifférente et apparemment les ignore. Beaucoup
dorment à même le sol malgré les intempéries
fréquentes. Le soir venu, ils n’ont que quelques
“blocs” à franchir pour rejoindre les
quartiers voisins délabrés où quelques
associations caritatives accueillent pour la nuit les plus
chanceux ou les plus débrouillards.
Des
SDF par milliers.
Cette
situation n’est pas nouvelle, mais elle s’aggrave
d’année en année et ce n’est pas
un hasard si ce dossier des sans-abri a été
au centre de la dernière campagne électorale
en vue de l’élection du nouveau maire de San
Francisco, Gavin Newsom, élu le 9 décembre
dernier : la question des sans-abri sera la priorité
numéro 1 de mon administration et ma première
décision sera d’établir un plan de 10
ans pour mettre fin à cette misère chronique
avec l’aide d’un fond fédéral
de dizaines de millions de dollars. La population des sans-abri
est estimée entre 8 600 et 15 000 personnes qui vivent
la plupart du temps dans la rue. Cette forte proportion
fait de San Francisco la ville la plus touchée des
États-Unis par ce drame social”.
Cette
situation n’est hélas pas propre à la
seule ville de San Francisco. Dans le comté voisin
qui regroupe les villes de Berkeley et Oakland, une récente
étude signale qu’il y aurait de 9000 à
12 000 sans-abri. On estime que parmi ces personnes 4 000
peuvent être classées comme marginales ou sans-abri
chroniques en raison de leur état de santé
mentale ou de leur accoutumance aux drogues. Quant aux autres,
ce sont de plus en plus souvent des personnes parfaitement
ordinaires qui ont été chassées de
leur logement pour des raisons économiques et qui,
à cause du chômage, n’ont plus de ressources
pour accéder à un logement.
Devant
ces drames, les organisations caritatives ne peuvent plus
faire face et l’opinion publique se durcit. Lors de
l’élection du maire, deux mesures particulières,
soutenues par les différents candidats, ont été
largement approuvées sous forme de référendum
et s’imposent dorénavant aux nouveaux élus.
La première vise à réglementer la mendicité
agressive et à l’interdire dans certains lieux
de la ville comme les parcs de stationnement, les arrêts
de bus ou les distributeurs de billets. La seconde, intitulée
“care no cash”, vise à réduire,
sinon supprimer, l’allocation de survie versée
à ces personnes et à développer, à
la place, des lieux d’accueil et d’hébergement
spécialisés dans la ville.
Le
débat sur cette misère qui se développe
et s’expose est largement ouvert aux États-Unis.
Certains accusent les élus californiens en majorité
démocrates et en particulier ceux de San Francisco
d’être trop généreux et trop tolérants
et d’attirer ainsi dans la ville les “bons à
rien” du reste du pays. Pour d’autres, cette
situation qui s’aggrave n’est que la conséquence
directe d’une spéculation immobilière
qui s’est envolée au cours des dernières
années dans l’ensemble de la région.
L’insuffisance manifeste de programmes de logements
à caractère social rend illusoire l’accès
au logement pour une grande partie de la population. On
estime qu’à San Francisco le montant des loyers
et le prix d’achat des appartements sont tels que
seuls 10 % de la population la plus riche peut y prétendre.
Pour les autres, ils sont contraints de s’établir
à des distances de plus en plus longues de leur lieu
de travail en ville.
Vue
de France ou de Marseille, la description qui précède
pourra surprendre et paraître exagérée.
Elle est en tout cas fort éloignée de l’image
que l’on se fait de la Californie et de San Francisco.
Toutefois, pour un observateur attentif, il est surprenant
de constater que la question des sans-abri se pose dans
des termes similaires ici et là-bas. On verra en
particulier que depuis quelques années, à
Marseille, les mêmes causes produisant les mêmes
effets, on aurait bien tort de ne pas prendre en considération
les diagnostics et les mesures qui sont mises en œuvre.
Une pauvreté plus discrète.
En
quittant les grandes agglomérations, la misère
semble moins présente et en tout cas moins visible.
Elle n’a pas disparu pour autant, mais elle se fait
plus discrète. Lorsque l’on sort des grands
axes routiers pour circuler dans la campagne californienne,
on est surpris de découvrir, cachées dans
les forêts de séquoias, des “baraques
délabrées” entourées souvent
de voitures d’un autre âge et de divers détritus.
Certaines de ces maisons en bois ont pu, en d’autres
temps, avoir du charme, mais leurs occupants n’ont,
à l’évidence, pas les moyens de les
entretenir. Plus loin, au creux d’un vallon, c’est
un rassemblement de quelques mobiles homes qui n’ont
plus de mobile que le nom et qui, sous une apparence de
confort, constituent le seul domicile permanent pour de
nombreuses familles.
Là
encore le rêve américain en prend un coup.
Chômage
et sous emploi : un mal endémique.
Comme
dans le reste des États-Unis, la Californie a, nous
dit-on, surmonté la grave crise économique
du début de ce siècle qui a vu éclater
la bulle financière et sombrer quelques fortunes
de la Silicon Valley trop rapidement accumulées.
Bientôt cette période ne sera plus qu’un
mauvais souvenir. La croissance repart en flèche,
la bourse remonte et le chômage se réduit.
La pauvreté va donc se réduire à quelques
irrécupérables drogués ou malades mentaux
chroniques. La réalité quotidienne pour de
nombreux Californiens est hélas bien différente.
Si,
en effet, le taux de chômage officiel diminue et si
certains professionnels ont du mal à recruter, on
aurait garde de comparer ces informations avec celles en
vigueur en Europe et en France. Être chômeur
en Californie n’est pas une sinécure. Pour
l’opinion générale, c’est d’abord
être un peu fainéant et vivre au crochet de
la société ou bien c’est être
incapable. Le chômeur ne perçoit qu’une
dérisoire indemnité et pour une période
de 6 mois au maximum. Alors tout vaut mieux que rester sans
aucune ressource. C’est ainsi que se multiplient les
emplois précaires et mal payés sans aucune
garantie et couverture sociale.
On
est étonné de voir, dans les commerces et
les services, un grand nombre d’employés, jeunes
ou moins jeunes, qui accomplissent des tâches que
l’on croyait être réservées aux
pays sous-développés. C’est particulièrement
vrai dans les grandes surfaces de vente ouvertes 12 heures
par jour, 7 jours par semaine, dans lesquelles le personnel
apparaît pléthorique. C’est certes agréable
pour le client de ne jamais faire la queue aux caisses et
de trouver à la sortie une personne spécialement
affectée à la collecte et au chargement de
vos achats. Il en est de même dans bien des restaurants
ou autres stations-service qui restent ouverts 24 heures
sur 24. Beaucoup de ces employés, pour atteindre
un minimum vital, cumulent plusieurs emplois de ce type
dans des conditions particulièrement pénibles.
Dans un autobus presque vide qui me conduit à 6h30
à San Francisco (Quelle idée farfelue de prendre
le bus !), le conducteur est une conductrice, certes parfaitement
compétente, mais qui a sans aucun doute largement
dépassé l’âge de la retraite dont
je viens de bénéficier.
Une
population immigrée corvéable.
Rappelons
également que la Californie, ancien territoire mexicain,
dispose d’une importante main-d’œuvre agricole
d’origine mexicaine. Dans le Nord de San Francisco,
ils sont en majorité embauchés dans les grandes
exploitations viticoles dont les “châteaux”
couvrent les collines de la Napa Valley. Pour la plupart
d’entre eux, ce sont des saisonniers payés
à la tâche et, pour une partie importante,
non déclarés et souvent clandestins. Ils constituent
ainsi, avec leurs familles, un sous-prolétariat qui
assure la flexibilité du marché du travail
et la richesse des propriétaires de “châteaux”.
Il
y a quelques années, l’un de ces immigrés
mexicains, en situation irrégulière, a fait
une tentative d’organisation syndicale. Immédiatement
“remercié” par son employeur, il a eu
l’audace d’engager une procédure judiciaire
avec l’aide d’avocats compétents. Après
trois ans de démarches, un tribunal fédéral
lui a donné en partie raison. Son employeur a dû
l’indemniser pour licenciement abusif et lui verser
le salaire de trois années de retard. Cette décision
a soulevé un grand émoi chez les patrons des
entreprises agricoles de la région. Ils ont obtenu
le soutien du Gouverneur démocrate de l’époque,
Davis, qui s’est engagé à légiférer
pour éviter qu’une telle décision ne
crée un précédent.
Plus
récemment, lors de sa campagne électorale,
le nouveau gouverneur Schwarzenneger s’est engagé
à faire voter une loi interdisant aux travailleurs
clandestins de posséder un permis de conduire. Lorsque
l’on sait que, aux USA, c’est le seul document
officiel qui est exigé et que, sans voiture, la recherche
d’un travail est totalement illusoire, on attend avec
impatience la réaction des employeurs californiens.
Un
SMIC municipal.
En
matière de salaire, on découvre qu‘il
n’existe pas de minimum à l’échelon
national et qu’une telle réglementation peut
être du ressort de la commune. C’est ainsi que,
lors des dernières élections à San
Francisco, l’électeur avait à se prononcer
sur l’augmentation du salaire minimum dans la ville.
La mesure “L” était ainsi intitulée
: proposition d’augmenter le salaire minimum horaire
de 6,75$ à 8,50$. Cette proposition a été
validée par 100 898 voix pour, contre 67 183 et devient
donc applicable au premier janvier. Les commentaires de
la presse le lendemain du vote se résumaient ainsi
: “cette augmentation est un plus pour ceux qui gagnent
peu”. Beaucoup d’employeurs et en particulier
de restaurateurs se plaignent amèrement de cette
décision et font un chantage à l’emploi.
8,50 $ de l’heure, cela peut nous paraître un
salaire raisonnable comparé au salaire horaire d’environ
10 € d’une femme de ménage en France.
Mais c’est oublier que pour le salarié en Californie,
ce tarif est brut et ne comprend en général
aucune prise en charge de couverture sociale ou de retraite.
Cette
augmentation va concerner 38 000 San Franciscains et 17
700 employés qui viennent y travailler chaque jour.
Pour beaucoup d’entre eux cette augmentation ne leur
permettra pas d’accéder à un logement
décent en ville dont nous avons vu ci-dessus le coût
prohibitif. (Un deux pièces cuisine se loue 2.000$
minimum par mois). Mais pour beaucoup d’entre eux
ce supplément bienvenu servira à augmenter
la part des 300 à 500$ envoyés chaque mois
pour faire vivre la famille restée au pays. En effet,
la plus grande majorité des employés qui bénéficient
de ce salaire minimum est originaire d’Afrique, d’Asie
ou d’Amérique Latine.
Une
flexibilité qui a ses revers.
La
flexibilité du marché du travail ne s’arrête
pas à la frontière de la Californie. Une information
récente a soulevé une vive émotion
dans les milieux concernés. On apprend en effet que
les centres médicaux privés qui représentent
l’essentiel des services de santé, sous-traitent
l’ensemble de leurs tâches administratives,
y compris la tenue des dossiers des malades (prescriptions,
fiches de soins etc.), à des entreprises spécialisées
en informatique. Ces dernières sous-traitent à
nouveau au plus offrant et ainsi, après trois ou
quatre niveaux de sous-traitance, ce sont finalement des
informaticiens qualifiés en Inde ou au Pakistan qui
remplissent et tiennent à jour les dossiers individuels
des patients californiens. Or, il y a quelques mois, une
Pakistanaise diplômée, qui effectue ces tâches
ingrates pour un revenu de misère, se plaint auprès
de son donneur d’ordre au Texas d’une facture
impayée de 50$. Sans réponse de son employeur
qui a disparu avec la caisse, elle fait scandale en menaçant
de publier les dossiers médicaux qu’elle traite
et qui ont, aux États-Unis, un caractère strictement
confidentiel. Il faudra à tout prix étouffer
l’affaire et les milieux médicaux se mobilisent
pour rembourser la dette. La Pakistanaise rentrera cette
fois dans le rang et s’engagera à respecter
la confidentialité. Jusqu’à la prochaine
fois…
Cette
situation est loin d’être exceptionnelle ; et
l’on apprend par exemple que des entreprises d’informatique
en Inde traitent pour des montants dérisoires la
plupart des dossiers de prêts bancaires des Californiens.
Ou encore, le plus grand distributeur d’électricité
qui, après avoir subi l’an passé les
conséquences de la faillite d’Enron, tente
de se refaire une santé en vendant au gouvernement
thaïlandais son savoir-faire et l’ensemble des
plans de réseau électrique de Californie y
compris l’emplacement des centrales de production
et des transformateurs. Ces documents sont classés
“secret”, en Californie, pour des raisons de
sécurité !
La
Californie : un modèle ?
La
Californie telle que décrite ici est toute aussi
réelle que celle des dépliants touristiques.
On ne peut donc, les yeux fermés, la prendre pour
modèle et faire rêver nos concitoyens d’un
eldorado trompeur. Mais on peut par contre trouver des similitudes
avec quelques-uns des problèmes dits de société
qui, ici en France et tout spécialement à
Marseille et dans la région, nous assaillent. Ils
ont pour nom : SDF, chômeurs, précaires, spéculation
immobilière, et on pourrait rajouter : retraites,
trou de la Sécu, pollution, dérive climatique,
etc. Les remèdes qu’on nous propose aujourd’hui
: libéralisme, concurrence, loi du marché,
flexibilité du travail ressemblent fort à
ceux qui, là-bas, conduisent aux pires excès
que nous avons décrits.
En
toute amitié une utile leçon de modestie et
de partage.
Loin
de moi l’idée, à travers ces quelques
témoignages, de faire preuve d’un antiaméricanisme
primaire. J’ai aujourd’hui suffisamment d’attaches
avec la Californie, j’y ai de la famille qui m’est
chère et des amis qui sont accueillants. C’est
un très beau pays plein de surprises et de richesses.
Contrairement aux apparences et aux préjugés,
nous avons beaucoup à apprendre quant au fonctionnement
de leur démocratie. Et finalement, nos comportements,
nos modes de vie et nos préoccupations quotidiennes
sont souvent très proches. On peut constater que,
dans bien des domaines, ils expérimentent, avec quelque
temps d’avance, les bienfaits mais aussi et surtout
les méfaits du progrès économique et
d’un libéralisme économique sans contrôle.
Il apparaîtrait donc judicieux que nos esprits critiques
s’exercent à regarder les erreurs qu’ils
commettent et dont ils subissent les conséquences
parfois douloureusement. Cet exercice nécessite de
notre part une bonne dose modestie, de respect pour des
hommes et des femmes qui, à l’autre bout du
monde, demeurent aussi insatisfaits de leurs conditions
de vie et parfois nous envient de vivre dans un pays qu’ils
considèrent comme riche de son histoire, de ses valeurs
et de sa diversité.
Alain FOUREST
Marseille, le 4/01/2004
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