Par
Alain Fourest pour la revue Territoires, 18 octobre 2003
Petite
histoire marseillaise de citoyens qui croient encore à
la politique
Cette
histoire commence au début de l’année
2001 à l’approche des élections municipales
à Marseille. Devant l’annonce régulièrement
répétée de la victoire assurée
des listes du maire sortant Jean Claude Gaudin, des Marseillais
qui croient encore à la démocratie et qui
s’inquiètent pour l’avenir de leur
ville se regroupent autour de la candidature de deux amis
porteurs d’une expérience politique : Philippe
Sanmarco et Tahar Rahmani, à l’époque
encore membres du parti socialiste. Après de difficiles
et souvent houleuses négociations avec ce parti,
une liste assez largement ouverte aux diverses tendances
politiques et mouvements associatifs, est finalement proposée
aux électeurs dans deux arrondissements de Marseille.
La campagne s’engage alors dans une atmosphère
désabusée autour d’un chef de file,
notable certes reconnu, mais sans projet sérieux,
sans charisme et surtout sans le réel soutien des
appareils politiques et en particulier du PS. Tout se
passe comme si les jeux étaient faits et la victoire
de J.C. Gaudin assurée. Certains ont même
dit alors qu’un accord tacite était intervenu
entre le leader du PS local et président du Conseil
Général et le Maire de la ville, pour préserver
les chasses gardées de chacun. On a appelé
cela depuis le syndrome Olmetta.
Cette
campagne électorale qui a mobilisé quotidiennement
plus d’une centaine d’anciens ou nouveaux
militants, tous désireux de faire un peu changer
les choses en tentant de «faire de la politique
autrement», nous a laissé un goût amer.
L’échec était certes attendu, mais
la découverte des conflits internes aux partis,
de leurs combines, de leur mauvaise foi mais aussi parfois
les haines qu’ils développent nous ont convaincus
que, du moins à Marseille et dans le département,
il n’y avait plus grand-chose à espérer
quant au renouveau des partis politiques et en particulier
de ceux qui revendiquaient les valeurs de la gauche. Le
film tourné pendant cette campagne par Jean Louis
Comoli et Michel Samson, qui passe depuis quelque temps
dans les salles, intitulé : «Rêve de
France à Marseille» mets crûment en
lumière ces dérives de la politique locale.
Dès
le lendemain du désastre et malgré la «gueule
de bois» nous nous sommes retrouvés pour
dresser le bilan, réagir et décider la création
de la «Convention Citoyenne» en dehors de
tout lien avec les partis politiques présents dans
cette ville. Le projet pouvait se résumer dans
l’appel suivant :
Constituée
à Marseille à l’issue des élections
municipales du printemps 2001, la Convention Citoyenne
s’est fixé un objectif précis : face
à la carence manifeste des partis de gauche à
proposer aux électeurs une alternative crédible
au monopole de la droite et un projet politique pour l’avenir
de cette ville et de ses habitants, il est convenu entre
les adhérents de créer une organisation
à même de proposer pour 2007 aux Marseillais
et aux Marseillaises, un projet pour leur ville et une
équipe municipale à même de le mettre
en œuvre ce projet. Il s’agit donc bien d’un
projet politique dont l’ancrage idéologique
se situe à gauche c’est-à-dire porteur
des valeurs de solidarité, de liberté, de
respect individuelle et d’ouverture sur le monde.
Nous
étions alors rapidement rejoints par quelque deux
cents Marseillais qui décidaient avec nous de s’investir
pour une pratique politique nouvelle. Sans attendre les
périodes électorales, les membres de la
Convention Citoyenne se sont alors impliqués dans
la vie locale sous diverses formes cherchant à
chaque occasion à rencontrer les habitants, écouter
leurs revendications et proposer des perspectives. En
effet, la vie quotidienne des Marseillais n’est
pas toujours rose et le débat public relève
davantage de la propagande ou de batailles politiciennes
qui n’intéressent plus personne. Pendant
ce temps, la circulation devient un cauchemar quotidien
et la pollution un fléau, le marché du logement
s’envole et des centaines de familles sont sans
abris ou en attente de logements décents etc. quant
aux écoles, elles sont dans un état de délabrement
avancé en particulier en centre ville. Ce sont
autant de thèmes dont les militants de la Convention
citoyenne, avec d’autres, se sont emparés
pour informer débattre et agir.
La
Convention citoyenne est, aujourd’hui, à
Marseille, une organisation reconnue et qui se situe politiquement
de manière distincte des partis traditionnels et
en particulier de partis de gauche. La convention citoyenne
a rassemblé en diverses occasions (débats
publics, réunions internes, campagnes électorales
etc.) près d’un millier de Marseille qui,
à un titre ou un autre se sont sentis proches de
la démarche proposée. La convention citoyenne
est animée par une équipe d’une vingtaine
de «militants» qui, de manière souple
et dans un large respect des points de vue de chacun,
prennent en charge tout ou partie des initiatives. La
convention a su tisser des relations de confiances avec
d’autres organisations ou mouvements associatifs
à Marseille et dans le département et qui
poursuivent des objectifs proches ou complémentaires.
La convention est représentée au conseil
municipal de Marseille par deux personnalités élues
dont la compétence et la rigueur sont reconnues.
La Convention a pu maintenir une activité sans
faire appel à d’autre moyens financiers que
les apports de ses membres en cotisations ou en prestations.
En
février 2002 dans la perspective des élections
présidentielles, la convention Citoyenne prenait
position ainsi : Pour l’élection présidentielle,
le respect de la diversité de nos membres interdit
que la Convention Citoyenne prenne en tant que telle une
position en faveur d’un candidat avant le premier
tour. Par contre nous pouvons dès maintenant affirmer
qu’elle appellera à voter au deuxième
tour pour celui ou celle des candidats issus de la gauche
plurielle que les électeurs auront placée
en tête de leurs suffrages.
Mais avant cela c’est dans son objet de veiller
à ce que ce scrutin ne se réduise pas à
des invectives, à des propos démagogiques
ou à de simples comparaisons entre le caractère
des uns et celui des autres. Dans cet esprit, la Convention
Citoyenne participera pleinement à la campagne
présidentielle. Elle organisera des débats
sur le contenu des différents programmes nationaux
et internationaux mais aussi plus particulièrement
sur la vision que les candidats auront de l’avenir
de notre cité, singulièrement au sein de
l’espace euroméditerranéen.
Pendant la période précédant le premier
tour, et au-delà de cette action collective, les
membres de la Convention Citoyenne seront bien sûr
à titre individuel libres de soutenir le candidat
de leur choix. La diversité des opinions, le respect
d’autrui et la capacité à se parler
et à s’écouter, sont au cœur
de notre démarche. Ce sera donc une occasion de
montrer publiquement que cette pratique de la politique,
sereine et sans sectarisme, est possible et utile.
Inutile de dire quelle fut notre inquiétude au
soir du premier tour. Mais peut-être étions-nous
plus prévenus que d’autres devant ce désastre
car plus sensibles à la dérive des partis
politiques et de ceux qui les animent. Ceci nous a sans
doute permis de réagir plus vite et, après
le tour de piste des élections législatives,
de nous préparer dès le mois de juin 2002
les échéances régionales. Notre objectif
numéro un : tenter de redonner envie aux citoyens
de notre région de s’intéresser à
la politique en leur proposant, 18 mois avant les échéances
électorales, les conditions d’un débat
sur le rôle de la Région, en permettant à
ceux qui le souhaiteraient, des modalités d’expressions
individuelles ou collectives. C’est ainsi qu’après
trois réunions régionales, le «Forum
des initiatives régionales» a vu le jour
et a engagé le travail d’élaboration
des «Cahiers de revendications et de propositions
régionales». Répondant à l’appel
qui suit plus de 60 citoyens de la région ont ainsi
participé à l’élaboration d’un
document de référence intitulé :
«2004 : pas de victoire à gauche sans un
rassemblement citoyen».
À
moins d’un an du renouvellement de l’Assemblée
Régionale des militants associatifs mais aussi
des citoyens engagés dans des mouvements ou partis
politiques s’interrogent sur les conditions d’un
débat public permettant à chaque citoyen
de cette Région d’être informé
sur les enjeux de la prochaine échéance
électorale. Chacun a pu faire le constat du peu
d’informations dont disposent les habitants de la
Région et du peu d’intérêt que
suscite dans la population le fonctionnement de l’Assemblée
Régionale.
Ce
déficit démocratique a justifié la
mobilisation de quelques personnes qui, depuis l’automne
dernier, ont engagé des premiers échanges
d’informations au cours de plusieurs rencontres
dans différentes villes de la Région. Elles
ont constaté que cela rejoignait les propositions
faites à l’échelon national par le
Forum de la Gauche Citoyenne (www.forumgc.org)
qui s’est proposé de coordonner les initiatives
similaires dans les autres Régions.
A
l’heure ou nous écrivons ces lignes la situation
évolue de jour en jour et les perspectives sont
largement ouvertes. Certes, les partis de gauche et tout
particulièrement le PS local, n’ont pas manifesté
un grand enthousiasme devant notre initiative et ses représentants
n’ont pas même trouvé le temps de nous
rencontrer. Les discussions avec les Verts et le PC sont
esquissées. Les conditions dans lesquelles se prépare
à gauche cette prochaine échéance
en inquiètent plus d’un. Agiter le spectre
de Le Pen ne suffira pas à mobiliser les abstentionnistes.
Alors
nous n’excluons pas l’hypothèse de
constituer, avec bien d’autres, des listes citoyennes
afin de redonner un sens à ces élections
et tenter ainsi d’éviter le pire. Nous connaissons
tous les pièges qui nous attendent et les accusations
dont nous serons l’objet. Mais quels que soient
les choix qui seront faits dans les prochaines semaines,
le travail accompli depuis deux ans sera mis en avant
pour participer au débat et interpeller les candidats
quels qu’ils soient.
Et
puis rappelons que l’origine de notre démarche
collective va bien au-delà de la participation
aux pouvoirs, qu’ils soient locaux régionaux
voir nationaux. «Faire de la politique autrement»,
redonner aux citoyens, envie de participer à la
vie publique et pourquoi pas y «prendre son pied»,
c’est ce qui nous rassemble aujourd’hui à
Marseille et dans la Région. Cela veut dire qu’après
les élections régionales il y aura pour
nous d’autres échéances et nous l’espérons,
pour les habitants de cette région d’autres
occasions de s’intéresser à la «chose
publique».
Marseille
le 18/11/2003
Alain Fourest
Secrétaire général de la Convention
citoyenne
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