Une lettre de Philippe Sanmarco (avril 2004)
Le
noyau sera-t-il suffisant pour faire grandir l'arbre ?
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Lettre
destinée à tous les candidats, à tous
les souscripteurs, à tous ceux qui ont aidé
dans la campagne, aux membres du comité de soutien,
aux gens nous ayant dit leur soutien par courriel, lettres
ou conversation directe avec l'un d'entre nous.
Chères amies, chers amis,
A
l'occasion des récentes élections régionales,
nous avons réussi à nous unir autour d'objectifs
communs pour notre région, mais aussi et surtout
pour qu'une certaine forme de pratique politique puisse
enfin s'exprimer. Additionner les diversités sans
les gommer, associer de manière égalitaire
et transparente quelques groupes organisés et de
nombreux individus isolés, mêler cultures syndicales
et associatives, s'appuyer sur des gens ayant une expérience
électorale et mettre en avant celles et ceux pour
lesquels c'était une découverte : on peut
continuer la liste de ce qui faisait notre différence
par rapport aux appareils traditionnels. Mais l'originalité
se paie. Loin du confort des partis traditionnels, aucune
difficulté ne nous aura été épargnée.
Jusqu'au bout l'existence même d'une liste d'initiative
citoyenne aura dû mobiliser d'intenses énergies.
Beaucoup doutaientque nous y arrivions. Il est vrai qu'une
organisation animée exclusivement par des militants
bénévoles, retraités ou chômeurs
parfois, mais le plus souvent en activité ou en cours
d'études, est par nature complexe. Des erreurs ont
pu être commises. Des malentendus ont pu exister.
Je les assume bien volontiers et reste personnellement disponible
pour en parler avec celles et ceux qui le souhaitent pour
préserver une dynamique de rassemblement potentiel
dans l'avenir.
Il
est possible de s'inscrire vraiment dans le débat
politique,
de ne pas se contenter d'en être spectateur.
Enfin
un financement entièrement assuré par les
apports personnels de celles et ceux qui ont soutenu notre
démarche, qu'ils soient candidats ou pas, et chacun
selon ses moyens, était pour beaucoup inconcevable.
Certes nous avons fait une campagne limitée au minimum
légal (profession de foi, bulletin de vote et quelques
affiches). Pour autant, la qualité de nos productions
a été unanimement remarquée. Mais assumer
un budget de près de 100 000 euros sur une base militante
et sans aucun financement extérieur était
aussi quelque chose d'inédit et qui doit rester dans
les mémoires. Pourvu qu'on le veuille vraiment, il
est possible de s'inscrire vraiment dans le débat
politique, de ne pas se contenter d'en être spectateur.
Au sujet de notre budget, je précise que chacune
et chacun d'entre vous peut toujours interroger notre trésorier,
qui a assumé la responsabilité de l'ensemble
des comptes. Au-delà de la consultation immédiate
par vous-même, ces comptes seront présentés
conformément à la loi, pour partie dans le
compte spécifique de campagne qui sera officiellement
déposé à la Commission nationale de
contrôle avant la fin du mois de mai 2004, et pour
une autre partie dans les comptes de l'année 2004
de l'association de financement de la Convention citoyenne,
déposés à la même Commission
en mars 2005. Les reçus fiscaux permettant la déduction
fiscale des contributions au financement de la campagne
vous seront donc adressés en janvier 2005, pour être
intégrés dans les déclarations de revenus
2004.
Un
autre mode d'exercice de la citoyenneté est possible
que celui de la passivité ou du zapping
Bien
évidemment le résultat chiffré de notre
liste “Région citoyenne” est décevant.
Pouvait-il en être autrement dès lors que ces
élections se sont finalement transformées
en un vote national de sanction contre le gouvernement.
De fait, il n'y a pas eu à proprement parler de dimension
régionale dans ces élections. La perception
de la spécificité de notre message en a été
rendue impossible. Par ailleurs la désinformation
a été massive. J'en rappelle quelques perles
: la victoire de Le Pen présentée longtemps
comme certaine, la perspective de l'élimination de
la gauche au premier tour ressassée comme un cauchemar
des présidentielles, l'affirmation que la prime de
25 % des sièges était attribuée à
la liste arrivée en tête au premier tour, etc.
Les médias ont largement relayé ces mensonges
et en ont rajouté dans l'écrasement du débat
d'idées et la valorisation de la foire d'empoigne.
Les analyses post-électorales sont toujours les plus
pertinentes. N'en rajoutons pas. Mais ne jetons pas le bébé
avec l'eau du bain. Ce que nous avons fait est en soi une
victoire. Car nous avons réussi là une belle
démonstration. Celle d'une pratique renouvelée
de la politique, faite d'engagements individuels libres
et forts, sur des contenus clairs, traduits par des propositions
concrètes. Nous avons ainsi fait la preuve que l'exercice
de la citoyenneté n'était pas réservé
à quelques appareils et que, pourvu qu'on le veuille
vraiment, un autre mode d'exercice de la citoyenneté
est possible que celui de la passivité ou du zapping.
Dans toute la Région, un mouvement citoyen est né.
A nous maintenant de le faire grandir, et de l'enraciner
dans nos territoires, sur des enjeux concrets, autour des
femmes et des hommes qui, avec notre liste, ont pris ou
repris goût à l'action collective.
L'essentiel
est le travail qui sera entreprissur le terrain, avec nos
concitoyens,sur les problèmes concrets auxquels ils
vont rester confrontés
Quelle
forme va prendre la suite de notre engagement ? C'est à
chacune et chacun d'entre vous d'en décider. J'imagine
que certains vont naturellement se consacrer prioritairement
à leurs structures, politiques, syndicales ou associatives.
D'autres voudront peut-être créer des structures
nouvelles, adaptées à leur terrain et aux
échéances politiques futures. Dans tous ces
cas, il est possible de garder entre nous un lien informel
dans un cadre à définir et de se retrouver
pour des actions ponctuelles. C'est le souhait que je formule.
Enfin pour celles et ceux qui le souhaitent, la Convention
citoyenne va de son côté se réorganiser
pour tenir compte de la dimension régionale qu'elle
vient d'acquérir. Une organisation “en franchise”,
souple et décentralisée sera mise en place
prochainement pour partager avec celles et ceux qui l'ont
demandé les moyens qu'elle met en œuvre et leur
faire bénéficier des avantages fiscaux qu'offre
son agrément par la commission nationale de contrôle
de formations politiques et de leurs financements.
Continuons
sereinement notre route, sans repli sur nous-mêmes,
en gardant la souplesse et l'ouverture qui sont nos caractéristiques
Mais
au-delà de ces questions de méthode, l'essentiel
est le travail qui sera entrepris sur le terrain, avec nos
concitoyens, sur les problèmes concrets auxquels
ils vont rester confrontés. Car passées les
élections européennes, les lumières
médiatiques vont s'éteindre. La manipulation
des peurs perdra un de ses principaux vecteurs et ne pourra
pas jouer éternellement. L'exaspération devant
l'accumulation des problèmes non réglés
peut faire exploser bien des évidences. Il nous appartient
donc de rester vigilants et actifs. Dans cette perspective,
nous ne sommes pas seuls. Soyons présents chaque
fois que nous le pouvons dans le mouvement associatif. Soyons
également attentifs aux évolutions inévitables
desformations politiques autour de nous et qui sont loin
de toutes nous être hostiles. Notre recherche constante
et publique d'alliance avec les partis de gauche, sur des
contenus et autour de pratiques, n'a pas pu cette fois-ci
trouver son débouché politique à cause
du refus exclusif d'une fraction de l'une d'entre elles,
le parti socialiste. Mais cette situation n'est pas figée.
L'accord signé entre les deux tours avec Michel Vauzelle
a montré que d'autres logiques pouvaient s'imposer.
Mais plus généralement, c'est l'instabilité
qui domine : tout bouge autour de nous, dans le monde entier.
Ce n'est pas fini et ce ne sera pas sans conséquences,
y compris pour l'expression politique dans notre pays. Dans
les mois et les années qui viennent une profonde
recomposition va s'accomplir qui déplacera les lignes
anciennes. Déjà pour les élections
européennes, la situation est radicalement différente.
Mais après, pendant trois ans sans enjeux électoraux,
la décantation va s'amplifier. En clair : continuons
sereinement notre route, sans repli sur nous-mêmes,
en gardant la souplesse et l'ouverture qui sont nos caractéristiques.
Achacune et à chacun, je dis bravo pour cette belle
campagne. Pour beaucoup c'était une première.
Des talents se sont révélés, des réseaux
se sont constitués. Chacune et chacun en sort différent.
Parfois le seul fait d'être sollicité et d'avoir
accepté de figurer sur une liste aura été
un acte important, même si des contraintes professionnelles
ou familiales n'ont pas permis d'en faire plus : un pas
important a été franchi et le suivant sera
plus facile. Parfois, des responsabilités significatives
ont été assumées, que l'on soit candidat
ou pas.
La
réappropriation de l'exercice de la démocratie
par les citoyens est au cœur de notre démarche
Il
a fallu se débrouiller, apprendre sur le tas, et
s'apercevoir que la démocratie n'est pas un concept
virtuel mais qu'elle s'appuie sur de multiples règles
et pratiques très concrètes le plus souvent
totalement ignorées des citoyens et de ce fait monopolisées
par les caciques des partis traditionnels qui apparaissent
ainsi indispensables. La réappropriation de l'exercice
de la démocratie par les citoyens était au
cœur de notre démarche. Pour beaucoup, cette
campagne aura été une formidable leçon
d'instruction civique. Pour les anciens, parfois un peu
découragés et désabusés, cette
campagne avec son aspect informel, décontracté,
faite d'ouverture et de convictions, leur a redonné
envie de s'investir au profit des nombreux jeunes qui ont
bousculé leur lassitude. La qualité des candidatures,
leur diversité, leur authenticité, loin des
accords d'appareils, tout ce que notre bulletin de vote
faisait bien apparaître, était un vrai bonheur.
C'est pourquoi nombreux sont celles et ceux qui, sans avoir
voté pour nous cette fois-ci, ont perçu la
qualité de notre démarche. Demain, plus tard,
dans un autre contexte, quand il sera impossible d'occulter
les enjeux locaux d'un scrutin, ils pourront nous rejoindre.
Au lendemain des élections, un grand quotidien régional
présentant nos résultas s'interrogeait dans
ces termes : “Le noyau désormais constitué
sera-t-il suffisant pour faire grandir l'arbre ?”.
Le débat est ouvert sur www.conventioncitoyenne.com
La
réponse appartient à chacune et à chacun
d'entre nous. N'hésitez pas à me faire part
de vos remarques, de vos analyses. Nous pourrions, le cas
échéant, les mettre sur notre site, faisant
ainsi partager nos réflexions sur la campagne et
surtout sur l'avenir. D'une manière ou d'une autre,
et sans doute sous des formes que nous n'imaginons pas encore,
cet avenir, celui des jeunes, celui de nos enfants, passe
par la confiance dans nos engagements et le courage de tenir
bon dans la durée. Le moment venu, et selon des modalités
adaptées aux territoires et aux gens, des réunions
pourront nous permettre d'échanger directement. Pour
l'instant, il faut récupérer, clore nos comptes,
et réinvestir nos activités professionnelles,
militantes et personnelles. A toutes et à tous, j'adresse
mon amitié et je dis ma volonté de poursuivre
ensemble une démarche originale, difficile certes
mais qui reste essentielle.
Philippe Sanmarco
Marseille, le 15 avril 2004
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