Assemblée
générale du 7 mars 2003
Un
an après le 21 avril
Instaurer
de nouvelles relations entre le citoyen et le politique,
tel fut le thème central de l’assemblée
générale ouverte de la Convention citoyenne
du 7 avril dernier. Un an après le 21 avril, la Convention
s’interrogeait sur la gauche, ses partis, son devenir,
son projet. Compte rendu.
La Convention citoyenne a tenu le 7 avril dernier une assemblée
générale ouverte, aux Arcenaulx, à
Marseille, à laquelle assistaient plusieurs nouveaux
membres et sympathisants.
Philippe Sanmarco, président de la Convention citoyenne,
ouvre les débats et situe les enjeux.
1-Évoquant
le "traumatisme" du 21 avril 2002,
il s’interroge sur sa signification et ses conséquences.
Admettre que c’est un simple incident de parcours
et que l'opposition reviendra au pouvoir lorsque la majorité
actuelle sera rejetée, selon l'alternance que nous
connaissons depuis 25 ans, c’est faire le lit de l’abstention.
C’est aussi se satisfaire que les citoyens actifs
limitent leurs engagements aux seules approches territoriales
ou thématiques, certes indispensables mais, par nature,
parcellaires. C'est admettre ainsi que la politique a perdu
son sens, sa légitimité, qui est d'englober
tous les problèmes, locaux, nationaux et internationaux,
culturels, économiques et sociaux, etc. C'est inacceptable
et dangereux.
Refuser cette passivité implique de réagir
et en particulier de ne pas tout attendre des partis qui
nous ont amenés là où nous en sommes,
et dont l'activité depuis un an est centrée
sur leurs enjeux respectifs de pouvoir interne, laissant
ainsi le champ de l'action politique à l'extrême
gauche et au mouvement social.
Réagir vraiment au choc du 21 avril implique donc
de préparer l’avenir avec tous ceux qui veulent
que leur action ait un débouché politique.
Les partis bien sûr, dont c'est la fonction, mais
aussi tous les autres qui veulent participer à cette
recomposition et qui ne se contentent pas d'un rôle
de dénonciation, de critique, voire d'imprécation,
mais qui veulent vraiment que leurs actions servent à
dégager des majorités de citoyens pour changer
le cours des choses.
2-Pour
cela, nous ne ferons pas l'économie d'un long débat
sur le contenu de la politique que nous
souhaitons.
Car dans le discrédit dont souffre la politique en
général, il y a le sentiment, plus ou moins
justifié mais bien présent, que gauche et
droite, c’est pareil. Ce sentiment est souvent amplifié
par l'idée que de toute façon, gauche et droite
ne peuvent rien faire. Cela a entraîné un gigantesque
décrochage des milieux populaires marqués
par un très fort sentiment d’abandon alors
que l’on assistait dans le même temps à
une montée incroyable des inégalités
comme en témoignait le montant de certains salaires
ou revenus dont l'importance dépasse l'entendement.
Redonner du crédit à l'action politique impose
donc de lutter contre ce sentiment d'impuissance. Tout particulièrement
il faudra revenir sur les deux concepts qui l'ont nourri
: celui de la mondialisation et celui de l’Europe,
qui ont justifié tous les abandons, sans qu'on ait
fait le tri entre ce qui est positif et ce qu'on doit rejeter,
contraignant ainsi les citoyens soit à accepter tout
et donc à subir, soit à rejeter tout, au risque
de se crisper sur le passé.
Ainsi, par exemple, la mondialisation a des aspects positifs
(un tribunal pénal international, les accords de
Tokyo sur les émissions de gaz à effet de
serre), mais elle sert aussi la criminalité organisée
à travers les paradis fiscaux, tous manipulés
par les États occidentaux. Il va falloir maîtriser
les effets positifs d'un monde ouvert, sans laisser s’installer
la loi de la jungle au niveau planétaire.
Pas plus qu’on ne peut se résigner à
l’Europe telle qu'on la vit. Si nous avons participé
pleinement et soutenu la construction européenne
c'était pour nous redonner au niveau communautaire
des moyens d'action et pas seulement pour les supprimer
au niveau national. Or aujourd'hui, à tort ou à
raison, l'Europe est perçue comme une contrainte
pour nous désarmer dans l'adversité. Les gouvernements
de gauche comme de droite s'en sont souvent servis soit
pour masquer leur propre incapacité à proposer
des réformes audacieuses, soit pour s'exonérer
de leur propre responsabilité. Nous avons atteint
une limite dans cet exercice. La Convention européenne
présidée par Valery Giscard d'Estaing va d'ailleurs
déboucher sur cette impasse : ou bien nous allons
pouvoir sortir de ces ambiguïtés et asseoir
le fonctionnement européen sur une base claire et
démocratique ou bien nous allons vers un éclatement,
car l'entrée de tant de nouveaux membres, sans compter
les autres candidats, ne peut se faire en l'état.
La guerre en Irak a servi de révélateur pour
ceux qui en doutaient.
La réponse à ces questions est essentielle
pour redonner du crédit à l'action politique.
Car en dépend tout simplement la paix ou la guerre,
pour nous et pour les générations à
venir confrontées au choc, non des civilisations,
mais à celui des riches et des pauvres au niveau
planétaire. La probabilité étant que
les conflits actuels se multiplient, conséquences
d'un mode de développement incompatible avec la préservation
de la planète.
3-
Sur toutes ces questions et sur d'autres, s'il est nécessaire
de lancer les débats, il n’est pas obligatoire
d'être tous d'accord sur tout pour se mettre en branle.
C'est d'ailleurs le propre des sectes de ne rassembler que
des gens d'accord sur tout. Nous n’avons pas le temps
d'attendre. Il faut d’urgence aborder
la question des outils de l'action politique
et en premier lieu celle des partis. Ceux-ci venus tout
droit du XIXe siècle, restent pyramidaux, hiérarchisés,
alors que nous avons besoin de modèles horizontaux,
j’ai envie de dire "libertaires" qui correspondent
à la réalité des pratiques de nos concitoyens.
Pour réussir à rassembler largement, et bien
au-delà du petit nombre actuel des adhérents
des partis, il faut donc donner aux citoyens qui n'ont pas
confiance de constantes garanties.
Pour la Convention citoyenne, ces garanties, qui sont au
cœur de la démarche "Faire de la politique
autrement", concernent :
-
Le fonctionnement interne des partis, le nombre de leurs
adhérents, leurs finances, leurs modes de décision.
Il faut sortir de l'opacité d'un autre âge.
Il y faut plus de transparence.
- Le
non-cumul impératif des mandats, dans le temps
(un seul renouvellement possible) et dans l'espace (un
seul mandat à la fois).
- La
fin des privilèges, comme celui des sénateurs
élus pour neuf ans par une poignée d'électeurs.
- L’exercice
démocratique du pouvoir des élus, avec une
démocratie participative et délibérative,
le rôle de l'opposition, celui des associations.
- L'élection
au suffrage universel de toutes les assemblées
délibérantes, comme les communautés
urbaines.
Ces
dispositions, et d'autres encore, peuvent permettre de redonner
confiance en l'engagement citoyen qui ne saurait se confondre
avec la soumission à des mots d'ordre ou à
une quelconque pensée unique. Dans cette panoplie
de mesures, une attention toute particulière doit
être apportée à la désignation
des candidats aux élections : comment sortir de la
désignation par de petits groupes occultes pour que
les citoyens, (dont 99 % n'adhèrent à aucun
parti), se sentent concernés et respectés.
Lutter contre l'abstention massive et éviter l'éparpillement
qui nous ont amené au choc du 21 avril dernier implique
que chacun prenne du recul, fasse des efforts.
4-
Philippe Sanmarco précise alors
les propositions concrètes de
la Convention citoyenne sur ces questions.
Tout d'abord nous allons adresser une lettre à chaque
responsable des principales formations politiques, syndicales
et citoyennes locales, afin de leur proposer de débattre
tous ensemble et de ne pas s'en remettre à de simples
accords d'appareils.
Nous allons par ailleurs initier une démarche régionale
en vue de l'élaboration de cahiers régionaux
de revendications et de propositions. Une réunion
de responsables issus des 6 départements de la région
est organisée à cet effet le 12 avril à
La Baume les Aix.
Nous considérons que ces initiatives doivent nous
permettre d'y voir clair avant l'été 2003
sur la réaction des autres parties prenantes. Car
il serait désastreux que les partis ne sortent de
leurs problèmes internes que pour entamer, comme
si rien ne s'était passé, d'obscures négociations
entre eux sur la composition des listes pour les prochaines
élections de 2004. C'est ainsi que se nourrit le
rejet de la politique et des politiques. C'est maintenant
qu'il faut se parler, sur les contenus et sur les formes
d'une action commune. Et ne pas se contenter d'en appeler
à faire barrage à l'extrême droite car
à ce jeu-là la droite montre qu'elle est devenue
crédible. Nous ne voulons plus revivre le 21 avril,
nous voulons donc participer à un large rassemblement
sur des idées claires avec des candidats crédibles
pour les porter. Par avance la Convention Citoyenne déclare
qu'elle sera présente lors des scrutins de 2004 et
qu'elle assumera toutes ses responsabilités.
Le premier débat qui s’engage après
l’introduction de Philippe Sanmarco concerne le débat
droite – gauche.
"Non ce n‘est pas pareil, dit
Aline Mémi. Regardez : nous avons un
vrai gouvernement de droite. Il faut inventer un nouveau
parti. On me renvoie le PS et son histoire. Comment exister
sans histoire ?"
"Le PC, le PS, la gauche ont une vieille histoire,
concède Christian Apothéloz.
Mais les partis ne sont pas les seuls porteurs d’histoire.
Nous sommes parties prenante de cette histoire, nous vivons
une grande rupture depuis le 21 avril et les partis n’ont
rien compris. L’histoire bouscule les organisations.
Le chemin n'est pas écrit, mais nous devons participer
à ce qui va se reconstruire…"
"Ma génération n’a pas d’histoire
politique, et pourtant elle va prendre la suite, dit
Fanny Sélles. Les jeunes se
sentent impuissants, ils croient au primat de l’économie
sur le politique, et ils ont peur d’être trompés".
"Je vois les tabous du peuple de gauche : on se
dit impuissant face au pouvoir économique, insiste
Vincent Beaume (même génération
que Fanny). Et c’est le premier tabou. Le deuxième,
c’est la sécurité, celle des gens à
qui l’on a volé trois fois leur portable. Il
y a dans ces matières une volonté qui dépasse
le politique".
Pour Didier Studer, "la droite,
ce sont des libéraux dont le moteur est le profit.
Et la gauche se demande si tout doit participer à
l’économie de marché. La culture, le
capital, le travail, sont-ils des marchandises comme les
autres ? Non, bien évidemment".
Les problèmes de citoyenneté resurgissent.
"La citoyenneté, on est en train de l’inventer,
il n’y en a pas en France. Il y a une exigence de
changer les rapports citoyens - pouvoirs qui traversent
les partis. Et les médias ne reproduisent que la
parole des partis dominants" dit Pierre
Boucher.
Pour Damien Brochier, "l’un
des grands problèmes, c’est la mystification
des rapports élus-citoyens. Je suis élu, nous
disent-ils, donc je décide, si vous voulez décider,
présentez-vous aux élections. Mais quand on
dit qu’on veut aller à des élections,
cela signifie, pour beaucoup, que l’on veut du pouvoir.
C’est faux. Il faut apparaître comme un truc
collectif. Et il faut le dire".
"Damien a raison, reprend Claude Grillet.
On nous dit, dans certaines réunions, dites de
concertation, qu’on ne représente personne.
Et il n’y a pas de contre-pouvoir à la Municipalité.
Il faut aller à la rencontre des Marseillais".
Jean-François Calefato pose la question
: "Comment travailler sur le terrain ? Avons-nous
une démarche vers l’électorat ? Il faut
un discours fédérateur. Le conflit droite
- gauche est manichéen, ce n’est plus d’actualité.
C’est un discours qui ne mènera à rien".
"À la Convention, nous sommes plutôt
à gauche, répond Philippe Sanmarco.
Mais cela ne doit pas nous enfermer. Recrédibiliser
l’action politique, c’est au cœur de notre
démarche. Il y a un discrédit énorme.
Mais si l’on veut intervenir sur le cours des choses,
c’est-à-dire être élu, il faut
gagner les élections. Convaincre. Dans le débat
droite - gauche, j’essaie toujours de comprendre ce
que les gens nous disent. L’enjeu, c’est de
recréer quelque chose qui dépasse la logique
des partis. Il faut être exigeant sur les contenus.
Mais si on refuse d'essayer de convaincre et de gagner,
on ne fait pas de politique".
Tahar Rahmani se dit, lui, préoccupé
par la décentralisation : "On va déléguer
des pouvoirs énormes aux régions, aux communautés
urbaines, aux conseils généraux sans contrepoids,
même pas celui de l’État. Comment faire,
alors, quand des baronnies auront tous les pouvoirs. Le
tissu associatif ? Partout de petits pouvoirs l’étouffent".
Pour Jean-Pierre Daniel, "la question
est d’ouvrir le débat dans le peuple de Marseille
qui souffre comme jamais. Il faut travailler, se confronter.
Et se mettre en articulation avec la ville réelle".
"Pour moi, dit Jeanne Seigue,
la droite à Marseille est la même que celle
qui est à la tête de l’État. J’aimerais
une réflexion sur les mesures du gouvernement sur
la fonction publique, par exemple, sur ceux qu’on
appelle des nantis. Il faut un discours de gauche sur ces
sujets".
"Il faudrait également que l’on parle
du racisme dominant qui reste le racisme anti-arabe affirme
Paul Piccirillo, ce racisme qui mène tout droit
au Front national et qui est loin d’avoir disparu.
Mais le plus important, c’est la crédibilité
des hommes politiques. Les jeunes qui ont manifesté
le 21 avril 2002 avaient des choses à dire, eux.
On n’a pas su les écouter".
"Il faut redonner crédit à l’action
politique, confirme Philippe Sanmarco
en conclusion. C’est au cœur de notre démarche.
Nous l'avons rappelé ici ce soir. C'est à
l’origine de la création de la Convention citoyenne.
Nous ne représentons pas tout le monde, loin de là,
nous n'avons pas cette prétention. Nous savons que
notre action n'a de sens qu'en lien avec celle des autres.
Mais nous sommes exigeants car nous sommes convaincus qu'il
faut changer les contenus et les formes de l'action politique,
faute de quoi la gauche ira vers de nouveaux échecs".
|